Bohuslav Reynek – Poèmes
Jardin
Le jardin au matin, c’est une jungle d’existences ; tièdes et souples les arbres y bourgeonnent, y exhalent une bonne vapeur et les pommiers sont de monstrueux chatons aux mille pattes fleuries de rose qui s’enfoncent pour têter dans les fourrures noires des sapins ; tout en haut s’élancent les flèches des écureuils, plus rousses que feu, et les mésanges y font scintiller leur bleu, vif, clair et phosphorescent. Des coqs de forêt lourds et dorés, les biches blanches de nos rêves, s’y promènent dans les herbes soyeuses, et les parterres de pervenches blotties dans leur buée.
Le jardin à midi est comme un grand ange ayant pris corps, couvert d’un voile de lourde chaleur, semé de grosses pivoines suintant miel et glu, nausée et désespoir de la glèbe. La torpeur y prend un bain de sang, blasphème, ou se moque, ou s’échauffe de luxure. Dans leurs nid, les petits des corbeaux ouvrent tout rond leurs yeux voûtés, aveugles, teintés d’indigo, de démons noirauds.
Le jardin au soir, c’est une immense agate, avec ses veines de regrets et de désirs qui prennent des couleurs que personne n’a jamais pu voir, des teintes de soufre croisées de tons roses et font naître étoiles et cristaux, croix et arabesques éblouissantes, pour s’enraciner enfin dans le plus noir charbon. C’est un immense coquillage en train de se fermer sur son intime lumière, c’est un oiseaux aux reflets de nacre qui s’est blotti dans l’ombre noire pour dormir. De gros vers pareils à des rubans sortent du terreau, les crapauds reprennent vie dans les pierres avec l’abondant venin de leurs boutons, et leurs yeux où paraissent les vénérables et mystérieuses lueurs des cavernes.
Bohuslav Reynek
Traduit par Michel Reynek
In : Verčerní okna – Fenêtres sur le soir